Nous quittons Loos en Gohelle, les corons, les terrils et leurs mineurs de fonds. Direction Norrent-Fontes, ou plutôt son camp de migrants où vivent en ce moment 150 Erythréens, Ethiopiens et Soudanais, soutenus par l’association Terre d’errance. Autant de femmes que d’hommes. Beaucoup de jeunes et des adolescents, qui dorment dans des tentes. Et un « quartier » principal formé de trois abris en dur. Les vélos à peine posés, des petits groupes se forment et des discussions s’engagent entre « eux » et « nous ». Echanges facilités par le fait que nombre d’entre eux parlent anglais. Les questions fusent. « Depuis quand êtes-vous ici ? », « Comment êtes-vous arrivés jusqu’ici ? », « Avez-vous de la famille en Angleterre ? »
Norrent-Fontes, village de 1500 habitants, est l’une des 8 ou 9 communes concernées par les « migrants de passage ». S’ils se sont arrêtés ici, à une heure de route de Calais, c’est qu’ils comptent rejoindre l’Angleterre. Derrière le camp, au bout d’un chemin de terre, il y a une aire d’autoroute où s’arrêtent des poids lourds qui vont traverser la Manche. Au bout de l’autoroute, l’espoir d’une vie meilleure. Encore faut-il pouvoir monter dans un de ces camions, puis déjouer la vigilance de la police. Chaque nuit, un groupe tente sa chance. Depuis le premier juin, plusieurs d’entre eux se sont blessés ou ont perdu la vie en essayant de passer. Ils doivent parfois patienter jusqu’à 6 mois pour y parvenir.
Mais pourquoi l’Angleterre ? Pour trois raisons, selon Nan Suel, présidente de Terre d’errance. D’abord à cause de la langue (beaucoup de migrants de la Corne de l’Afrique parlent l’anglais) et de la possibilité d’obtenir des équivalences de diplômes. Ensuite, parce que les demandes d’asile y sont traitées beaucoup plus rapidement (entre 3 et 6 mois) qu’en France (18 mois). En outre, pendant l’instruction de la demande d’asile, « l’immense majorité des personnes sont prises en charge et protégées », ajoute Nan. Enfin, il est généralement plus facile de trouver un petit boulot en Angleterre que chez nous. Les migrants ne connaissent pas pour autant ce pays. Beaucoup nous questionnent : « Vous y êtes déjà allés ? Comment vit-on là-bas ? » Certains n’avaient qu’une idée en tête en partant : fuir les persécutions dont ils étaient victimes dans leur pays. C’est le cas de Mikael, 31 ans, qui travaillait comme coiffeur en Erythrée. « Dans notre pays, seulement deux religions sont autorisées : l’islam et le catholicisme orthodoxe. » Mikael est Pentecôtiste. A Londres, il espère reprendre les études qu’il a dû interrompre. En attendant, il est au camp de Norrent-Fontes depuis déjà 3 mois. « Dans la jungle, c’est difficile. Ce n’est pas confortable. Parfois il fait très froid. » Trois litres d’eau par jour, voilà la ration de chacun pour boire et se laver. Et puis il y a ces deux abris en dur qui ont brûlé accidentellement en avril dernier et qui, depuis sont devenus une pomme de discorde entre Terre d’errance et le maire de Norrent-Fontes. Celui-ci, soutenu par le sous-préfet, a pris un arrêté interdisant la reconstruction des abris. L’affaire est également en cours de jugement.
Au centre d’un grand cercle formé par les migrants et les altercyclistes, Nan, traduite en anglais puis en ahmaric raconte le combat de l’association pour améliorer les conditions de vie des migrants. « On est des lanceurs d’alerte. En plus de l’aide humanitaire et sociale, on sensibilise le public et les habitants de la commune sur ces questions ». Comme les 20 autres membres de l’association, Nan est révoltée par le traitement que la France inflige aux migrants. « Qu’est devenue la question de l’hospitalité ? », s’interroge-t-elle. Nous, altercyclistes de passage, n’oublierons pas cette journée à parler, manger, jouer au foot avec ceux qui nous ont accueillis dans ce camp de transit de Norrent-Fontes.
Samy