Si le Centre Industriel de stockage Géologique (CIGEO) de l’Agence Nationale pour la gestion des Déchets Radioactifs (ANDRA) est une réalité inscrite dans le paysage lorrain, aucun déchet n’y est encore entreposé pour le moment.
Les premiers devraient arriver, si tout va mal, en 2018. Il n’est donc pas trop tard pour faire reculer le pouvoir politique parisien qui impose cette solution finale contre les populations et contre la science elle-même. C’est en tout cas ce qu’ont voulu rappeler au peuple lorrain, les 1 500 marcheurs venus sur le site de Bure le dimanche 7 juin 2015.
A l’issue de la marche répartie en quatre cortèges différents, un pique-nique convivial a eu lieu et une chaîne humaine a entouré le futur site d’enfouissement. Le 18 juillet, un « Alter-tour » cycliste de France a également fait étape à Bure. Pour tous les citoyens hostiles à ce grand projet inutile, le combat continue.
De son côté, l’ANDRA annonçait que l’exploitation du centre débuterait par une « phase pilote » d’une durée comprise entre cinq et dix ans. Des essais seraient ainsi effectués avec des colis factices représentant 5 % du total des déchets nucléaires de haute activité. Le stockage des colis radioactifs serait enclenché dans la foulée après l’accord de l’Etat français, d’abord en petit nombre, avant de se poursuivre à un rythme industriel de 3 000 colis enfouis par an. Le site sera raccordé au réseau ferré depuis Gondrecourt, situé à une douzaine de kilomètres de Bure. Les colis seront donc essentiellement acheminés par train sans rupture de charge, et non par la route. Rappelons que le centre doit accueillir 3 % du volume des déchets radioactifs français, mais les déchets plus dangereux, c’est-à-dire ceux de haute activité et de moyenne activité à vie longue qui concentrent à eux seuls plus de 99 % de la radioactivité totale. Les plus nocifs émettent un rayonnement radioactif pendant plus d’un million d’années.
L’ANDRA déclarait par ailleurs que la demande d’autorisation de création de CIGEO, initialement programmée en 2015, sera effectuée en deux temps : dès 2015 pour la phase préparatoire, avant une finalisation fin 2017. Ce tour de passe-passe permettra ainsi aux ingénieurs de gagner deux ans d’études. Un temps précieux quand on sait que l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) affirmait que le dossier CIGEO n’était pas au point et insistait pour qu’une capacité d’entreposage soit prévue au cas où CIGEO ne fonctionnerait pas. Cela dit, sur le fond, rien ne change. Le décret sans débat parlementaire autorisant le démarrage de la construction du centre d’enfouissement devrait toujours être signé à l’horizon 2020. Les premiers aménagements doivent même commencer dès cette année. Le début de l’exploitation reste quant à lui programmé pour 2025.
Nous ne pouvons une nouvelle fois que saluer la performance de l’ANDRA d’avoir accouché d’un nouveau concept pour satisfaire aux apparences et tromper l’opinion publique en faisant semblant de ralentir le calendrier tout en ne changeant strictement rien au projet final. Ces petits ajustements de communication n’apportent en effet aucune réponse aux questions de fond. Ils démontrent au contraire que les études officielles menées jusque-là ne sont pas si sûres qu’on veuille bien nous le faire croire. Par exemple, comment concevoir sérieusement une seule seconde qu’une phase pilote de quelques années permettra de savoir si ce stockage sera sans conséquence sur des millions d’années ?
Il faut savoir par ailleurs que c’est la Direction Générale de l’Energie et du Climat (DGEC), organisme qui dépend du ministère français de l’écologie, qui pilote le projet CIGEO. Ce ne sont donc pas les ministres de l’écologie qui sont en charge du dossier d’enfouissement, puisque ceux-ci vont et viennent au gré des différents remaniements au sein du gouvernement français, mais des hauts fonctionnaires, à l’image d’un certain Charles-Antoine Louet qui est à la sous-direction de l’énergie nucléaire de la DGEC, mais qui est aussi et surtout membre du Conseil d’administration du Commissariat à l’Energie Atomique (CEA), du Conseil d’administration de l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) et qui a déjà travaillé en tant que chef de division à l’ASN. La plupart de ces hauts fonctionnaires sont issus des grands corps d’Etat comme l’Ecole polytechnique ou l’Ecole des Mines. On les appelle d’ailleurs les X-Mines. Dès lors, comment voulez-vous qu’il y ait le moindre soupçon d’indépendance dans les différentes entités de la gouvernance et du contrôle du projet CIGEO ?
En outre, afin de pouvoir implanter son centre d’enfouissement des déchets radioactifs les plus dangereux, l’ANDRA a occulté un pan important du sous-sol de Bure : son potentiel géothermique. L’ASN a émis des critères officiels pour déterminer le lieu d’implantation du site d’enfouissement, dont notamment celui de ne pas creuser à l’aplomb d’une ressource géothermique présentant un intérêt particulier. Une fois le site construit, l’ASN reconnaît en effet le risque d’une perte de mémoire de celui-ci, qu’elle situe raisonnablement au-delà de 500 ans. Si la ressource géothermique venait à être exploitée dans plusieurs siècles, les conséquences de la perforation des alvéoles de stockage et, par conséquent, des conteneurs de déchets, seraient alors gravissimes pour la santé et la sécurité des populations. Or, le sous-sol de Bure renferme une ressource géothermique conséquente, connue des géologues depuis les années 1980. Par conséquent, le site aurait logiquement dû être déclaré impropre à l’enfouissement. Mais, selon les associations antinucléaires, l’ANDRA n’a cessé de s’évertuer à cacher l’existence de cette ressource. Celle-ci a pourtant été mise en évidence par les analyses du docteur en géologie Antoine Godinot, au point d’être officiellement reconnue par le Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM) et le cabinet suisse d’experts indépendants Geowatt. Même l’IRSN reconnaît son caractère exploitable. La géothermie permet de valoriser la chaleur du sous-sol dans les réseaux de chauffage urbains, des industries ou encore des serres agricoles.
Rappelons qu’en 2010, la Zone d’Intérêt pour la Reconnaissance Approfondie (ZIRA), choisie sans concertation pour implanter le centre d’enfouissement CIGEO, avait été validée par l’Etat français sur la base d’un avis rendu par l’IRSN en 2009. Cet avis se fondait lui-même sur les résultats présentés par l’ANDRA qui niaient la ressource géothermique de Bure. Ceux-ci concluaient ainsi que « le forage traversant le Trias réalisé au centre de la zone permettait de confirmer l’absence de potentiel géothermique exploitable à son aplomb ». Depuis, suite au travail mené par les associations, de nouveaux rapports et expertises sont venus contredire cet avis. En 2013, l’IRSN est revenu sur ses affirmations en admettant que « la formation argilo-gréseuse du Trias inférieur présente un potentiel géothermique » tout en reconnaissant la possibilité de son exploitation.
Depuis, un amendement de dernière minute du sénateur Gérard Longuet a été intégré subrepticement dans la loi Macron, passée elle-même en force par le sulfureux 49-3, afin d’accélérer la réalisation du projet d’enfouissement. Ce nouvel épisode ne grandit évidemment pas la supposée représentation nationale, d’autant plus que le ministre Macron s’était engagé à faire respecter le débat sur CIGEO. Heureusement, le Conseil constitutionnel a quelques jours après invalidé l’article en question, estimant qu’il n’avait rien à faire dans la loi. Rappelons que depuis septembre 2014, à travers les deux lois de transition énergétique et Macron, pas moins de treize amendements en dix reprises ont été glissées au long des procédures pour éviter au projet d’enfouissement de passer par une future loi spécifique. Une méthode aussi scandaleuse qu’autoritaire. Le président de la république française avait pourtant affirmait qu’il ferait appliquer une réelle démocratie participative dans les dossiers environnementaux. François Hollande avait de même exprimé son opposition en 2000 à l’enfouissement des déchets nucléaires lorsqu’il était député de Corrèze. Tout comme son ex-compagne Ségolène Royal entre 1987 et 1990 quand elle était députée des Deux-Sèvres.
« CIGEO est un complot ». C’est ce qui était écrit dans le cahier d’acteur n°97 rédigé dans le cadre du pseuso débat public. Le document a été mis en ligne pendant deux mois sur le site réalisé par la Commission Nationale du Débat Public (CNDP), avant d’être censuré et retiré par Christian Leyrit, président de la CNDP.
La folie de Bure a déjà englouti plus de 1,5 milliard d’euros. Les Lorrains ne doivent pas se résigner à voir leur pays devenir la poubelle radioactive de la France. Après avoir exploité pendant des décennies les richesses du sous-sol lorrain, Paris entend à présent nous empoisonner pour des millénaires. Après le martyr de Verdun, nous devons éviter le sacrifice de Bure.
Source, agoravox : http://www.agoravox.fr/actualites/info-locale/article/enfouissement-des-dechets-170732