A la ferme de la grande lande, on tend vers la simplicité volontaire

AlterTourAgriculture, Edition 2021, Normandie

Un tournant pour passer d’un monde à l’autre

Une image idyllique aux abords de l’étang de la ferme de la Grande Lande : Natalia et Aurélien avec leurs petites filles Mathilda et Madeleine lovées dans les bras nous accueillent tout sourire, accompagnés de leur bouvier des Flandres visiblement ravi de l’arrivée de la soixantaine d’altercyclistes.

Depuis un peu plus de 6 années, ce jeune couple exploite la ferme laitière familiale d’une centaine d’hectares de prairies en un seul tenant, convertie en bio et permettant l’élevage de près de 80 vaches Holstein. 

Ni Aurélien ni Natalia n’étaient destinés à l’agriculture. Lui : ingénieur en électronique, a travaillé pour une grosse société allemande, à Düsseldorf. Il prend rapidement conscience du non-sens de sa vie et décide de se lancer dans un tour d’Europe à vélo. Elle : après des études en sciences sociales, elle s’occupe d’enfants défavorisés dans les banlieues de Varsovie. C’est un peu grâce au vélo que leurs chemins se croisent. Ils  décident de rentrer en France ensemble, de s’installer dans la ferme familiale et d’élaborer ce projet agricole en simplicité volontaire.

Ne pas perdre sa vie à la gagner

Fonder une famille se concrétise rapidement. Malgré le capital immobilier et foncier initial, le labeur ne manque pas. La conversion en bio, l’entretien des parcelles, la plantation de nombreux arbres, la réfection de 12 km de clôture restent bien ancrés dans les souvenirs et dans les corps.

Et leur leitmotiv est de ne pas perdre leur vie à la gagner : l’exploitation de la ferme doit rester la plus simple et la moins énergivore possible. Le refus de la course aux technologies est omniprésent. La confiance en la Nature aussi ! Plus elle est respectée, plus grande sera l’harmonie.

Quelques bâtons dans les roues…

L’idée de base était de combiner habitat partagé, lieu de culture et activités agricoles, partant du constat qu’il est difficile pour les agriculteurs de disposer de temps de loisirs pour rencontrer les autres, aller à des spectacles, etc.

Le partage de l’habitat est loin de séduire les parents. La recherche d’un.e partenaire s’avère difficile, malgré des conditions économiques favorables : la ferme peut être gérée par deux personnes et peut en faire vivre quatre.

Attirer des événements culturels ne va pas de soi non plus. Pourtant, le corps de bâtiment qui nous abrite pour les repas, inaugurée pour leur mariage – une ancienne écurie rénovée – se prête parfaitement à l’organisation de spectacles ou de concerts accueillant un large public.

Simple simple simple !

Quelle est la recette d’Aurélien et Natalia pour vivre décemment et travailler raisonnablement ? Respecter les cycles de la nature, résister à la tentation d’une exploitation intensive faussement prometteuse de profits, refuser les emprunts sources d’endettement, résister aux assauts des commerciaux des compagnies agricoles.

A défaut de formation agricole, Aurélien se base sur son bagage familial et son bon sens.

Les vaches sont nourries à l’herbe, essentiellement en pâture. La production de lait est certes bien moindre que si elles étaient nourries au maïs et autres aliments mais elle permet une seule traite quotidienne d’un lait plus riche. Résultat ? Moins de travail, un meilleur prix pour un lait de qualité labellisé « bio lait » commercialisé via une coopérative bio d’un millier de producteurs auprès de la laiterie Isigny. La seule concession faite à la technologie : une balloteuse (et ses kilomètres de rubans de plastic) permet de stocker un foin de bien meilleure qualité qu’un fastidieux ensilage traditionnel.

Les veaux mâles devenus bœufs non écornés sont quant à eux valorisés localement et non pas expédiés aux quatre coins de l’Europe.

Les vêlages sont les moins médicalisés possible. Aurélien a acquis une expérience permettant de recourir plus rarement à un vétérinaire qui, mis à part pour les contrôles annuels, ne met pas souvent les pieds à la ferme.

Se mettre au diapason des us et coutumes

Isolée au cœur des marais, la ferme permet aussi aux bêtes de profiter pleinement des 250 hectares communaux grâce au droit de marais dont peuvent encore bénéficier les exploitants de cette commune : un dernier bastion socialiste du Cotentin défendant cette mise à disposition du bien collectif que constituent les marais.

Une jeune altercycliste spécialiste de l’agriculture s’avoue convaincue et qualifie cette organisation de résiliente et résolument tentante ! Tenable à long terme ?

L’isolement de la lande pourrait amener Aurélien et Natalia à se lancer dans de nouveaux projets. C’est la recherche du bonheur qui tracera leur chemin…

Eric

© Orianne Drouet