A l’occasion du départ de Mathieu, j’ai eu envie d’imaginer une interview au long court, parce que je me disais quand même, en quatorze ans il a dû en accumuler des histoires !
Cet entretien a duré deux heures, je l’ai retranscrit et séparé en trois épisodes, voici le dernier, qui parcourt les moments, rencontres et lieux les plus mémorables.
Peux-tu nous raconter un moment incroyable genre « pincez moi je rêve ! » ?
Il y a eu des rencontres incroyables sur des conférences. Notamment avec Christian Vélot, qui était conférencier et membre de l’orga. Chacune de ses conférences était un moment fou.
Avec le pianiste Marc Vella, il y a eu un moment hors du temps. Il se balade partout avec son piano à queue car il est convaincu que la musique doit être accessible à tout le monde. Il a une façon de vivre la musique assez dingue avec beaucoup d’émotions, il fait jouer au piano celles et ceux qui n’ont jamais joué.
Une séquence émotion qui t’a marqué ?
Il y en a eu beaucoup ! Dans la réussite ou dans l’échec. Des cercles de parole très chargés et intenses. Des moments avec les accueillant.es, où iel te lâche un truc énorme, en positif ou négatif d’ailleurs et tu te prends une vague d’émotion.
Je me rappelle d’un accueillant qui faisait des plantes aromatiques et médicinales. Quand on a été le voir en repérage avec Aline, il était tout timide et osait à peine nous regarder dans les yeux. J’avais du mal à imaginer que ça se passe bien devant soixante personnes. Quand on est arrivé avec le groupe, on le voyait mal à l’aise, mais on demande le silence et là il commence à parler de ses plantes, le sujet qui l’anime le plus au monde, son regard a brillé d’une intensité folle ! C’était captivant ! C’était au chaudron des Bordes, en Auvergne.
Je sais que c’est impossible de départager et que tu as vu des tas de projets superbes mais peux-tu citer quelques un.es des accueillant.es les plus marquant.es ?
Je repense à la mine à Thoiras. Il y a une mine à l’abandon et rien n’a jamais été fait ni par l’entreprise ni par l’État pour assainir les lieux. C’est très pollué, il y a des métaux lourds de partout mais personne n’en parle. Clairement il y a beaucoup de cancers là-bas, les populations sont exposées. Pour celleux qui y vivent depuis l’enfance, la mine était un terrain de jeu, en découvrant la pollution du lieu iels ont été révolté et certain.es se sont installés sur place pour y vivre et le dénoncer. C’est un engagement militant extrême, iels mettent leur santé à l’épreuve. Leur volonté est que l’État et l’entreprise exploitante reconnaissent leur responsabilité et s’occupent de la réhabilitation du lieu. On a été là-bas pendant trois jours, c’était incroyable de vivre avec elleux et de comprendre leur combat.
Un autre lieu marquant c’était la Colporteuse à Argenton les vallées. Un château tombait en ruine et la commune a proposé aux habitant.es de constituer une asso pour s’occuper des rénovations. Cette asso se nomme la Colporteuse, iels rénovent le château avec des méthodes d’époque, et en parallèle il y a une troupe de théâtre qui fait des représentations dans le lieu. Ça mixe une approche écologique et théâtrale, il y a à la fois de la culture et du militantisme, c’est très très sympa.
Et le meilleur de cet été?
Neoloco, le boulanger solaire en Normandie !
Quels ont été tes meilleurs moments festifs préférés ?
A la Feuillée chez Nomad’Yo, un fabriquant de yaourts végétaux, en Bretagne. Christophe Favrot fabrique des yaourts à base de céréales et a créé des recettes en open source qu’il diffuse à toute entreprise voulant se lancer, ce qui lui permet de résister face à l’industrie. Après nous avoir présenté ce projet très original, il est rentré chez lui en nous laissant le lieu. On a fait un espèce de concert improvisé, il y avait quelques personnes avec des instruments et on a attrapé tout ce qu’on avait sous la main pour faire des percussions, des couvercles, des palettes… T’avais soixante altercyclistes qui faisaient de la musique, on a atteint un état de transe collective assez dingue. C’était un moment vraiment magique.
Ça n’est pas un souvenir précis mais un sacré paquet de fois, un groupe vient jouer et il y a une grosse ambiance, une connexion qui se fait entre le groupe et les altercyclistes. A la fin du concert, les musicien.nes jouent leur dernier morceau et là ça enchaîne rappel sur rappel et iels jouent quatre heures au lieu d’une heure et demie comme prévu ! Nous on est à fond et elleux sont trop content.es d’avoir cet accueil-là. A chaque fois iels nous disent « bon on était pas super chaud au départ à l’idée de jouer devant seulement soixante personnes mais en fait on aurait été au bout de la nuit tellement l’ambiance était folle ! »
Une fois on s’est rendu sur un lieu qui accueillait un festival, on est arrivé le lundi alors qu’iels avaient fait un festival du vendredi au dimanche. Donc iels nous ont fait la visite mais étaient fatigué.es. Iels sont parties se reposer en nous laissant sur le lieu, on leur a racheté les futs de bière restants et ça a été un moment festif, complètement improvisé mais assez fou. Ça ne prend pas toujours, avoir de la bière ne suffit pas, il faut un petit groupe de motivé.es. Par contre quand ça part ça ne s’arrête plus !
Il y a eu aussi une grosse fête à Notre Dame des Landes pour la fin de l’AlterTour 2009, la dernière étape nous a fait arriver sur ce qui n’était pas encore une ZAD. C’était fou, il y avait un monde de dingue, on a été acclamé en arrivant, on a eu un accueil hyper chaleureux. Il y avait quinze stands de bouffe différents et pleins de concerts de partout avec des chapiteaux, on se croyait dans un festival !
Souvenir d’un fou rire ?
Cet été Hugues et Marion reviennent de l’Échappée Belle et disent que Gérard, participant de l’EB est à l’hôpital. Iels me racontent l’histoire : iels visitaient une accueillante qui faisait des savons et il n’a pas dû écouter la présentation de la veille parce que le matin, elle avait disposé des savons sur une table à côté du petit-déjeuner. Il a cru que c’était du fromage de chèvre et il a mangé du savon. Après ça faisait des bulles quand il parlait ! Je crois que c’était un de mes plus gros fous rires… avec bien sûr les pets de Robin qui croyait qu’il avait éteint son micro pendant une conférence téléphonique du CS ! [rires]
Est ce qu’une ou plusieurs visites chez des accueillant.es t’ont provoqué un déclic?
Ah oui ! Entre 2010 et 2012, j’avais un coup de cœur à chaque fois qu’on passait chez un boulanger. J’avais très envie d’être boulanger, pendant un temps ça m’a bien boosté. Après ça a été les rencontres dans les brasseries. Puis l’envie de créer la Brasserie Plume Jurassienne à Cramans (dans le Jura).
Qu’est-ce qui ne t’a pas plu dans la boulange ?
C’est le côté où même si tout est prévendu, il y a toujours des restes, ce côté périssable m’a freiné. Tous les gens que je connais qui font du pain ont un point commun : un congélateur entier rempli de pain ! [rires] Et puis là où je suis, il y a un fournil à cinq kilomètres où ils sont quatre donc le secteur pain commence à être surchargé. De plus, les investissements sont conséquents au démarrage, notamment pour le four.
Alors qui sont ces brasseurs qui ont fait battre ton cœur ?
C’est marrant parce qu’au début ça ne m’intéressait pas du tout. Lors des premières visites de brasserie, je ne comprenais rien quand iels expliquaient la fermentation. La bière même au départ ça ne me parlait pas. C’est quand j’ai compris que la bière c’était du pain liquide que ça a commencé à me causer ! [rires]
D’autres lieux mémorables ce sont les expériences autogestionnaires comme au village du Bel air cet été, ça aussi ça m’a marqué. Il y a eu toutes les entreprises autogérées notamment celles du réseau REPAS : Ambiance Bois, Radis & co, La Frênaie, Ardelaine, l’écocentre du Trégor, Champ commun…
Ça veut dire quoi autogestionnaire ?
Ce sont des structures avec des salarié.es et sans hiérarchie, où toustes participent aux prises de décision, où il y a une égalité de salaire et une rotation des tâches.
Les plus beaux paysages c’était où?
La montagne et l’océan c’est quand même…
… mieux que les champs de maïs!
Oui y a pas photo ! Donc Savoie, Haute-Savoie, Larzac, Auvergne, Bretagne et Normandie.
Le meilleur spot de camping de tous tes AlterTours ?
Les endroits les plus confortables sont souvent les plus moches : le meilleur du meilleur en terme de confort c’est un stade de foot. Un terrain hyper plat et des douches ! Les terrains plats en montagne sont rares mais fou, parce que tu cumules le confort et la beauté du lieu.
Ça a l’air de t’avoir marqué, t’as dormi tant de fois que ça en pente ?
Ah ouai ! Tellement de fois. Et ça c’est dur !
Tu pourrais mentionner cette fois où l’équipe petit-déj avait fait du porte-à-porte ou plutôt du tente à tente pour servir les tartines et le café, c’est assez inoubliable!
Ben moi je ne mange pas de petit déjeuner! [rires] Mais je me souviens d’un lieu communautaire à Beauchamp, un terrain de cinq hectares avec une maison. C’était un couple d’anglais retraités qui n’était jamais là donc une asso gérait les lieux à leur place. C’était super beau, il y avait une très vieille maison, un peu rénovée avec les moyens du bord, un potager magnifique avec la forêt tout autour, des cabanes et hamacs partout dans la clairière. C’était hors du temps, comme dans un conte de fées.
Tes meilleures recettes ?
La fameuse polenta ! Tu veux le détail de la recette ?
Ben oui !
Il faut trois à quatre fois le volume de liquide par rapport à celui de polenta. Plutôt que de l’eau, pour que ce soit gourmand tu fais avec du lait (pour les vegans du lait végétal et de l’huile d’olive). Tout le monde prétend détester la polenta mais quand on la fait comme ça, bien assaisonnée, tout le monde en redemande ! Si en plus tu mets de la tome dedans alors là… les gens se battent. [rires]
Avec Aline on s’est fait des gros défis en cuisine. Une fois on a préparé un cheesecake, dans le sud ouest. Il faisait 40 degrés, on l’a fait sur l’étape de midi, servi en verrine pour avoir les mêmes quantités pour toustes et que ça se tienne un peu : un franc succès. Et puis à l’époque où on vivait en Auvergne avec Aline, le tour passait en Bretagne et on s’est chauffé à faire une truffade, éplucher et couper des patates pour soixante personnes, et les mélanger avec de la tome.
Et le pire fail gastronomique?
Ce qui m’énerve c’est les céréales trop cuites ou cramées !
Moi je me rappelle à Peirao, on avait tenté un clafoutis à la poêle… mauvaise idée! C’était cramé et pas cuit en même temps ! Mais on était tellement désespéré de manger un gâteau…
C’est un truc que je ne fais plus, mais à un moment je demandais aux prépas d’étape de me repérer les lieux où y avait des fours, donc j’avais une liste des étapes avec four. Je prévoyais en amont la commande de Biocoop et j’allais chercher du chocolat, de la farine, des œufs et on se faisait un méga gâteau et là… les gens étaient trop contents !
Tu m’étonnes! C’est une super idée ! Il faut qu’on reprenne le flambeau là dessus.
Une dernière question : qu’est-ce qui va le plus te manquer ? Et qu’est-ce qui ne te manquera pas du tout ?
Ce qui va me manquer c’est clair, ce sont les gens de l’orga. Les moments de prise de décision collective qui sont de chouettes moments.
Ce qui ne va pas me manquer ce sont les réunions le soir !
Depuis sont départ de l’AlterTour, Mathieu à créer la Brasserie Plume Jurassienne à Cramans dans le Jura.
Lire les autres articles : Entretien avec Mathieu 1/3 et Entretien avec Mathieu 2/3
Encore un merci à Angélique pour la relecture !
Lire aussi : Brasserie Plume Jurassienne : entre passion, écologie et bière légère