On avait déjà aimé les descentes plus nombreuses que les montées, la pause herbeuse de la matinée. Certain.es avaient aussi dévoré le paté du déjeuner, parenthèse bien carnée dans notre végétarisme incarné. On avait aussi savouré les rares gouttes d’ondée, le pétrichor ennivrant qui soudain nous enveloppait.
Alors quand aux derniers détours du jour, on a vu apparaitre des panneaux « Altertour », notre sang n’a fait qu’un tour. On se savait attendu.es, les muscles se sont détendus. C’est avec le beaume au coeur et les mollets rieurs qu’on est arrivé.es en trombe à la Ferme des Tronques.
A la Salvetat Peyrales, ce n’est pas l’eau qui pétille mais les regards de Régine et Marco. Dans leur ferme familiale, iels élèvent des vollailles en pagaille, des cochons et des veaux, tout en bio. Mais plus encore, iels accueillent et iels rassemblent. La ferme a son camping Accueil Paysan, ses chambres d’hôtes et sa salle de spectacle.
Groupe de touristes de passage, réunion de la Confédération Paysanne ou altercyclistes en vadrouille, iels aiment mélanger les groupes et permettre les rencontres. Au coin du cantou, dans l’ancienne étable, la tablée est joyeuse, et la discussion va bon train. Au fond, un espace de vente directe et un bar, qui rappelle leurs grandes années de festivités. Car ça fait bien longtemps qu’on vient chez Régine et Marco pour tailler le bout de gras et de saucisse sèche, lever le coude et taper du pied. Dans les années 90, Zebda, Réglisse ou les Berruriers Noirs ont fait la renommée de leur Café des Champs, qui distribuait « De la vitamine en watt » au cœur des hivers aveyronnais. Et personne n’aurait tronqué ni troqué la moindre soirée dans le fier bistroquet de la Ferme des Tronques.
On écoute les histoires de cette époque mémorable avec délice, en sirotant une ratafia, une bière locale ou un sirop de safran. Celle de l’amitié entre le père de Marco et un vieux pianniste de renom qui parlaient chacun dans leur langue, en occitan et en anglais, en se comprenant parfaitement. Ou celle du grand concours correzo-aveyronnais du meilleur tripoux, sous la houlette de Jacques, président du jury. Ce soir, M. le Maire nous a fait l’honneur de sa présence. Les panneaux Altertour ont fait leur effet dans les rues du village : Marco les avait aussi placé pour attiser la curiosité, pour qu’on se questionne et qu’on parle de nous. Le maire nous raconte les réinstallation dans sa commune qui se vidait, le mélange des populations, le festival qui anime chaque année le village jusqu’au bout de la nuit. On sent que ce coin d’Aveyron (re)vit, palpite et frémit des initiatives et des liens qui s’y créent.
Isabelle et Phillippe, qui nous ont rejoint pour quelques jours, en sont la preuve. Iels ont monté un collectif il y a 10 ans sur un terrain de la vallée de la Jaoul, en contre-bas, récemment repris par un groupe de trentenaires constitué à Sivens. D’autres alternatives y fleurissent en bord de rivière, et l’engagement collectif unit causses et vallées. Iels ont ainsi pris des parts pour l’achat des terres agricole de Segonds, où nous nous rendrons demain. Une galaxie militante qui émerveille, comme celle que nous observons au bout de la nuit au téléscope d’Isabelle. Saturne et ses anneaux sont de sortie, la pleine Lune nous éclaire, l’altertourisme spatial low tech écrit son histoire : les astres s’alignent sur l’Altertour.
La soirée passe d’ailleurs comme une étoile filante, le temps de faire un voeux pour Marco et Régine : qu’iels trouvent un projet de reprise aussi riche que le leur pour prendre, serein.es, une retraite conviviale, musicale, engagée et surtout bien méritée. A bon entendeur.euse…
Rémi à la rédaction et Marco à la photo