À quelques coups de pédales de Torpes, l’Altertour pose ses sacoches à l’Écolieu du Portail. Le confort de la prairie qui nous accueille n’a d’égal que l’ombre portée par les arbres et la diversité des haies qui nous entourent. Ici, la nature a des droits. Le terrain est limité d’une part par des serres maraîchères et d’autre part par deux yourtes et une grange. Je la traverse pour tomber nez à nez avec Max, adhérent d’une association du lieu depuis 4 mois, qui, en préparant des betteraves pour nous accueillir, m’explique son interprétation de cet écolieu. Toutes les semaines les bénévoles se réunissent pour prévoir les marchés (hebdomadaires), les marchés animés (bihebdomadaires), les chantiers collectifs, le verger commun, la rénovation des lieux, les animations et ateliers pédagogiques, les projets d’habitats communs et la vie de l’écolieu. Pendant ce temps-là en effet, le marché, sous la halle juste derrière nous, propose la production de la ferme : légumes, fromage, pain, œufs… J’y rencontre également Claire, avec qui l’on épluche des carottes. Architecte, elle habite en Haute-Savoie mais se pose la question de venir habiter sur le lieu, dans le cadre d’une Coopérative d’Habitants qui souhaite créer un ensemble de six logements écologiques.
Guillaume P., qui coupe le pain, m’explique qu’il habite dans la yourte aperçue plus tôt. Informaticien, il a participé à créer un outil en ligne, pour l’association Alterconso, qui organise des commandes groupées (production de la ferme mais aussi champignon, tempeh, farine, olives, boissons…). Je comprends que ce sont les paniers qui sont distribués devant moi, en même temps que le marché. Il me dit vivre en Bresse car les gens y sont merveilleux. Le temps de dresser la table, Julie et Fred se présentent. Artistes, iels vivent dans une maison au coeur de l’écolieu. Puis, en me servant un kéfir, Guillaume R., le fils d’André et Françoise, me raconte une partie de l’histoire. Il y a environ 12 ans, Gabriel dit « Gabi », un éleveur engagé a tenu à céder sa ferme à un groupe de voisins motivés pour maintenir une agriculture biologique. Une douzaine de fondateurs, puis le collectif, a développé au fil des années ce lieu dédié à expérimenter le vivre ensemble, solidaire et écologique. Océane qui vit dans un habitat léger à 5 kilomètres me le confirme : ici on partage, du temps, des valeurs, des envies, dans une relation de voisinage intensifiée.
En écoutant la conversation de Yann, qui habite à 1 kilomètre, je découvre la recette du Zacuscă, que je déguste sans retenu : prendre des légumes d’été de la serre d’en face, faire venir des voisins, et mettre tout son cœur pour faire des conserves que l’on partagera toute l’année. En faisant la vaisselle, je discute avec Charline qui va rejoindre la ferme pour dresser des chevaux au travail de la terre et participer au maraîchage.
Avant de rejoindre la prairie pour une nuit dans la nature, je visite une yourte. Pour entrer il faut respecter deux arbustes qui forment une arche, comme pour nous dire « attention, ces lieux sont précieux. » J’y découvre une photographie de « Gabi », souriant, un plan relief du lieu et la charte qui rappelle les valeurs défendues : « simplicité du mode de vie, solidarité, engagement, liberté de pensée, fonctionnement démocratique ».
Au matin, avant les chantiers collectifs auxquels nous allons toustes participer, c’est Françoise et André dit « Dédé », membres fondateurices toujours actif.ves, qui nous présentent la structure administrative du lieu. En simplifiant fortement il y a la ferme du Jointout – un GAEC (Groupement Agricole d’Exploitation en Commun) composé de Matthieu, Alix, Thomas, Adèle, Raphaël- et une SCI associative – qui gère le foncier, les murs. Il y a également plusieurs associations dont une tournée vers l’extérieure et l’animation (Du Grain à Moudre) et une autre tournée vers la vie interne du collectif, la mutualisation des outils (Paille).
Une douzaine de voisins sont très actifs accompagnés par de nombreux bénévoles, stagiaires, administrateurices, et toustes les consommacteurices du marché. Cette année, Maëlle est venue de Bretagne pour un projet de recherche concernant la biodiversité dans le bâti, car tout ici est fait pour prendre en compte le vivant. S’il fallait résumer en trois mots ces trois jours : des murs, de la vie, de la diversité… C’est effectivement tout l’objet de cet écolieu : « la vocation de cet écolieu intergénérationnel est de rassembler, sur un lieu, des activités et des habitations, pour mettre en œuvre un mode de vie écologique et solidaire. »
Joseph