Le soleil brille, sèche nos affaires détrempées par la journée de pluie de la veille et permet au groupe de démarrer la journée avec le sourire. 4km à vélo de relief vosgien nous emmène ce matin à la Vigotte, un éco-tiers-lieu qui expérimente, tel un laboratoire à ciel ouvert, une « transition écologique des territoire ruraux »
Nous sommes accueilli’es par Laurent et Juliette ; elle est une locale, ancienne stagiaire et service civique du lieu, maintenant en résidence artistique en design d’ameublement et de signalétique ; lui, ancien salarié de l’ONF, est permanent régisseur du lieu et sera notre principal guide de la matinée
Le Lieu et l’Association
Perchée en haut d’un vallon en forme de barque renversée et cerné de forêt et de champs, la Vigotte Lab est une association de 7 salarié’es née en 2022, installée dans le hameau de la Vigotte (cqfd), d’abord tourbière, puis asséchée pour y faire du pâturage et enfin transformée en forêt des Vosges après guerre (l’échelle de temps est en siècles !) ; hameau qui se situe sur la ligne de partage des eaux Atlantique/Méditerrannée : ça a son importance ! imagine-toi en petite goutte de pluie qui peut voir son destin chamboulé par une simple rafale de vent, et finir ton périple fluviale dans une mer ou un océan ! Plus sérieusement, l’eau est une considération omniprésente car 20 sources sont présentes sur le terrain.
Se trouvent actuellement dans le hameau des habitations, des gîtes, un hôtel-restaurant, une ferme, et une salle multi activité toute fraichement restaurée par des matériaux locaux (on y reviendra !), ainsi que divers activités professionnelles hors lieu portées par les habitant’es, ce qui fait qu’en une dizaine de bâtiments, en fond de vallée, le lieu est bien vivant !
L’association campe donc dans un écrin de nature de 30ha dont elle se sent responsable et porte donc sa vocation dans ce sens : tester une « transition écologique en milieu rural » raisonnée en respectant le cycle naturel.
La Gestion Forestière
Avec 7 salarié’es (et du bénévolat) , l’association a donc du taf ! Celui qui prend une bonne partie de son temps à Laurent est donc la gestion forestière, et c’est là que ça devient intéressant ! Il nous emmène en balade.
L’épicéa a été massivement planté dans l’après-guerre pour subvenir aux besoins de reconstruction ; simplement, bah la monoculture sylvicole ça fait des dégâts en empêchant la diversité biologique et naturelle de s’épanouir. Et, au lieu d’y aller à coup de coupes franches et rases, de replanter et d’opérer un fort contrôle sur la repousse, ici, l’idée est de recréer une régénération et un réensement naturel des espèces endémiques et créer une gestion longue de la rotation forestière ; entre autre, ça passe par couper quelques épicéas pour laisser un puit de lumière et de tout simplement laisser faire : patience et vision à long terme s’installent donc, ou plutôt, regarder à hauteur du rythme des arbres et leur faire confiance.
Une aide bonus intervient : le Scolite, petit insecte parasite pour l’épicéa, pond ses larves sous l’écorce ; pour se défendre, l’arbre doit stopper la circulation de la sève, et par effet pervers s’auto-étouffe et meurt ainsi en quelques mois. Si le Scolite est ravageur pour l’industrie du bois dans les Vosges, ici à la vigotte, il donne un petit coup de pouce pour transiter de l’épicéa vers le Sapin et quelques feuillus endémiques.
Circuit Court
Pour soutenir la vision d’une transition locale, une scierie a été installée et permet d’utiliser le bois d’épicéa dans le coin, et même sur place directement. L’exemple que nous ont montré Laurent et Juliette est la rénovation de la salle polyvalente dont le bois vient à 100% de 200 mètres à la ronde !
La réflexion du circuit-court s’axe donc en partie autour de cette salle qui propose aux habitant’es du territoire de s’approprier cette salle pour des séminaires, des stages ou toute autre activité de groupe, les gîtes soutenant l’accueil.
Le circuit court prend aussi la forme du traitement des eaux grises des activités humaines par des bassins phyto-sanitaires qui purifient l’eau avant de retourner dans le ruisseau.
Laboratoire
La gestion de la forêt est donc une des expériences grandeur nature que porte l’association, et elle en explore d’autres.
Du maraîchage en terre est en cours et deux parcelles miroir se font face : l’une gérée très classiquement, l’autre est alimentée par les eaux usées de la serre en aquaponie juste au-dessus, et voir à terme les différences qui peuvent émerger. L’aquaponie est une méthode hors-sol, en bac et sans terre de culture des végétaux, alimentée par de l’eau dans laquelle vivent des poissons dont les déjections servent de fertilisant aux plantes dont les racines baignent littéralement dans l’eau. Laurent nous dit que pour l’instant il n’y a pas de vertus à alimenter les habitant’es, plutôt de tester une méthode d’agriculture pour des considérations futures de nourrir un territoire.
Pour que ce laboratoire puisse se nourrir, perdurer, essaimer, la Vigotte accueille régulièrement des groupes d’étudiant’es ou d’expert’es ou néophytes créant, partageant et diffusant les connaissances émanentes du lieu.
La touche poétique
Juliette expérimente un ligne de mobilier extérieur 100% locale : Esther.
L’idée est d’utiliser ce que la forêt propose et de créer des bancs, des tabourets ou autre là où les matériaux sont disponibles, et c’est ainsi qu’elle nous présente un banc qui de loin ressemble à des stères de bois prêts à être enfournés, mais qui de près s’avère être un banc face à la vallée. La notion clé derrière est, de manière éphémère, rendre service à l’humain’e en proposant un lieu de pause et de contemplation tout en laissant le bois qui a servi se décomposer, d’abriter insectes et rongeurs dans ce lapse de temps et retourner à la terre pour alimenter l’humus, et créer le terreau fertile de la future forêt. Le tout en « open source », soit l’accès totalement libre des plans et de la confection !
L’association a également créé un parcours sonore qui nous entraine dans cet écrin expérimental et permet de découvrir la richesse de cette vallée verdoyante.
Tout ceci n’est qu’un aperçu d’une matinée passée à la Vigotte Lab, arbre qui cache la forêt de l’énergie et la chaleur humaine et des projets portés dans ce petit coin de paradis.