Ces deux derniers étés, lorsque l’AlterTour enchaînait les alternatives, l’attention des cyclistes était surtout orientée vers l’action. Il s’agissait de faire connaître des initiatives locales, tout en expérimentant une vie collective en décalage avec nos habitudes. Sur cet autre tour, on pratique en effet la convivialité et la solidarité, sans distinction d’age ou de position sociale. On y découvre d’autres mode de vie, tels que la simplicité volontaire ; on évolue sans ‘carapace à moteur’ dans des paysages vivants, en ne regardant plus seulement le monde à travers un pare-brise ou la lucarne d’un écran ; on y dialogue beaucoup.
Plus libre entre deux AlterTours, la réflexion quitte la route, à l’heure des bilans et de la préparation d’une prochaine édition.
Ces deux derniers étés, le verbe ‘être’ a été le premier auxiliaire, le vélo des ‘alter’.
De l’avis unanime des cyclistes qui ont eu le bonheur de participer aux deux manifestations, la cuvée 2009 de l’AlterTour n’a rien à envier à celle de 2008. Ces deux derniers étés, ils ont découvert d’autres chemins que celui dicté par une société imprégnée de compétition, motivée par le profit, la rentabilité, la croissance économique, et ayant recours à tous les dopages. Limitée la première année au dopage agricole, la réflexion menée entre deux AlterTours a permis de dénoncer d’autres secteurs d’activité touchés par ce phénomène, tels que l’économie (S!lence n°368), la production d’énergie, les transports, les télécommunications. La presse régionale écrite et télévisée a propagé le message, en allant parfois plus loin [1] : un reportage a notamment été suscité cet été par un Communiqué de Presse des cyclistes sur les contrôles anti-dopage électromagnétique [1].
Dans la micro-société sans dopages des ‘altercyclistes’, l’absence de hiérarchie appelle un procédé de régulation efficace : le Cercle de parole [2]. La vie collective implique des tâches considérées comme aussi valorisantes les unes que les autres, avec cependant des retours d’effort plus ou moins immédiats, à court-terme : cuisine, gestion du matériel, interventions en public, nettoyage ; à moyen-terme : coordination avec les accueillants, contact avec les médias, finalisation et fléchage éventuel du circuit ; à long-terme : rédaction de communiqués et d’articles, tournage de séquences filmées. Entre deux AlterTours, cette expérience peut être transmise, comme par Geneviève de St-Hilaire (45) à un groupe d’adolescents, « encore émerveillée d’avoir pu transmettre à ces jeunes un peu de ce que l’AlterTour lui a apporté, dont : être heureux dans la simplicité volontaire et le partage au quotidien. »
Ils auront, les alters, un ‘avoir’ limité, mais suffisant pour s’élever : l’eau désaltère.
L’année « altertouresque » se divise actuellement en trois périodes : neuf mois de gestation du projet, un mois de réalisation, deux mois de finitions. Entre deux AlterTours, l’aventure collective continue… Beaucoup d’altercyclistes deviennent récidivistes. Certains n’imaginent pas revenir sur le tour sans avoir contribué à sa préparation. C’est ainsi que ceux-là se retrouvent chaque mois quelque part en France, et organisent également des réunions hebdomadaires sur Internet, pour affiner progressivement le circuit qu’ils exploreront et le cadre logistique dans lequel ils évolueront l’été suivant. Ils conçoivent à la fois le contenu d’un événement d’un mois et demi, et la manière de l’organiser. Car les options sont multiples en la matière, et l’absence de hiérarchie dans le groupe de coordinateurs ne signifie pas l’absence d’organisation. Des outils de partage d’informations structurées sont mis en place, permettant à chacun de contribuer au projet en fonction de ses disponibilités, et aussi parfois d’améliorer ses compétences en fonction des besoins. Du côté des hôtes, le niveau de satisfaction semble en définitive être proportionnel à l’investissement collectif réalisé avant le passage des cyclistes. La réussite du projet peut même conduire, comme à Domfront ou Strasbourg, à la création d’associations destinées à promouvoir par la suite les alternatives locales, y compris l’agriculture paysanne (AMAP). La tendance actuelle est donc de démarrer de bonne heure la préparation du tour, en y incluant de l’éducation populaire « en interne » pour une meilleure connaissance et un partage possible des tâches.
Il y a de l’admiration entre les cyclistes et leurs hôtes, d’où une émulation certaine. Les « accueillants » sont impressionnés par la performance sportive et la curiosité des cyclistes sur les domaines abordés lors des soirées-débats. L’envie de rouler sur le tour l’année suivante a même parfois été exprimée, « à condition de trouver une personne pour remplacer » au fournil ou aux champs. Réciproquement, les cyclistes les plus enthousiastes changent entre deux AlterTours de couleur de maillot : le vert devient le rouge des organisateurs locaux. Comme précédemment indiqué, certains participent même l’année suivante à l’organisation nationale, tel Mathieu de Besançon devenu coordinateur de l’édition 2009. Cette tendance s’accentue pour la prochaine édition : des citoyens de Jersey, venus à la rencontre des cyclistes en 2009, les invitent à une grande manifestation publique qui réunira le 17 juillet 2010 des membres de leur gouvernement et des responsables d’associations locales. Du côté des cyclistes, comme l’exprime Jean-Pierre, l’engagement en direction des alternatives peut aller jusqu’à « vivre beaucoup plus en cohérence avec leurs idées, à longueur d’année. Autrement dit, devenir à leur tour révolutionnaires (au sens: porteurs d’un projet alternatif) » pour ne pas se limiter au rôle de témoin admiratif pendant un mois sur l’AlterTour.
L’idée d’organiser un AlterTour continuel a été suggérée. Les cyclistes consacreraient alors une partie de leur temps libre sur le tour à préparer le circuit parcouru par d’autres, quelques mois plus tard : un schéma qui ajouterait une autre dimension à la solidarité. Entre deux AlterTours, ce serait alors toujours vraiment de l’AlterTour.
Josy d’Orthez
& Dom de Chevreuse
[1] Revue de Presse 2009 (55 pages)
[2] Chacun prend la parole à tour de rôle, sans être interrompu. Le Cercle de parole ne donne pas seulement à chaque individu la possibilité d’exprimer sa perception d’une situation et de participer à la conduite du groupe, il l’entraîne aussi à contrôler son impulsivité.[3] Figure 1. Résultat des contrôles anti-dopage électromagnétique par micro-ondes, réalisés pendant l’Altertour par Philippe de Chambéry (73) et cartographiés entre deux Altertours par Nolwenn de Vannes (56). Une enquête du Monde a confirmé la présence d’antennes-relais dans des clochers d’église, avancée par les médecins de l’Altertour 2009.