Permaculture, élevage et troc sont les trois piliers d’un éco-lieu niché à Aujargues, dans le Gard. Joakim l’a créé en 2014 avec l’objectif d’y vivre en autosuffisance, lui qui habitait auparavant à Lyon et travaillait dans la restauration. Trois ans plus tard, c’est une mission (presque) accomplie et il partage désormais son expérience avec les locaux et les gens de passage.
A l’ombre des chênes et de pins, un samedi de juillet, on entend le chant des cigales, des sifflements joyeux et des conversations animées. Appuyés contre les arbres, une soixante de vélos. Tout autour, des sportifs et amateurs de 7 à 77 ans sont affairés au montage des tentes et à la préparation du repas. Nous sommes à Aujargues, village du Gard près de Sommières. Et plus précisément au Kayou, un éco-lieu basé sur la permaculture, l’élevage et le troc, fondé il y a trois ans par Joakim, 37 ans.
Ce jour-là, il accueille avec ses amis une étape de l’AlterTour, le tour de France à vélo des initiatives qui se déroule chaque été depuis 2008 sous l’égide de l’association AlterCampagne. Cyclistes pour quelques jours ou quelques semaines forment une joyeuse troupe qui se déplace à la rencontre de ceux qui luttent pour un monde « sans dopage ». Et on ne parle pas seulement là du milieu sportif, puisque l’association applique ce terme à tous les domaines de la société : les pesticides sont du dopage agricole, le nucléaire est un dopage énergétique et le pétrole un dopant du transport tandis que la publicité relève pour eux du dopage commercial.
D’un éco-lieu l’autre
Le 29 juillet, l’anti-dopage agricole est à l’honneur puisque l’étape relie deux éco-lieux : l’Echovert à Vauvert et le Kayou à Aujargues. Les cyclistes avaient donc quitté au matin la Petite Camargue, où ils avaient découvert un lieu de vie alternatif s’étendant sur deux hectares, créé en 1998, qui propose une coopérative de produits bio et des stages (agro-écologie, autoconstruction, pédagogie Montessori, etc.). En fin de journée, la soixantaine de participants arrivait à Aujargues, chez Joakim. En bordure du terrain agricole, ils étaient d’abord accueillis par les chèvres et brebis ainsi qu’un âne avant de découvrir les poules, les lapins, les oies mais aussi le jardin en permaculture et le lieu de vie de Joakim.
Ce terrain agricole, il l’a cherché pendant cinq ans. Le lieu, entouré à perte de vue par des champs et des vignes, correspondait parfaitement à son projet de créer un éco-lieu basé sur trois activités qui devaient le mener à l’autosuffisance. Produire des fruits, légumes et plantes avec un bon rendement grâce aux techniques de permaculture et de paillage ; élever différents animaux pour la viande et les œufs, mais aussi parce qu’ils sont importants dans la lutte contre les nuisibles et les mauvaises herbes. Et faire du troc pour le reste de ses besoins.
« Vivre ici est un choix, pas un plan B »
Ce projet, il a donc eu le temps de mûrir. Il a germé à Lyon, à l’époque où il travaillait dans la restauration et gagnait 3800€ par mois. «Venir vivre ici, c’est un choix, pas un plan B. On pense souvent que les personnes qui choisissent cette vie le font car elles n’ont pas réussi dans le système traditionnel. À tort.» Ils étaient au départ cinq à vouloir créer un éco-lieu. Mais voyant que tous « avaient de fausses excuses », Joakim a foncé seul, à 35 ans. Et a tout mis en œuvre selon un principe directeur : n’avoir aucun impact négatif sur la terre qu’il occupe.
Comme il l’explique aux participants de l’AlterTour, cela implique bien sûr de n’utiliser aucun produit phytosanitaire et de ne rien rejeter dans la nature, en ayant par exemple des toilettes sèches, qui produisent du compost. Pour ne générer aucun impact, il faut chaque jour garder une idée en tête : s’il décidait de partir, il ne devrait rien laisser derrière lui. Pour faciliter les choses, l’espace dans lequel il vit est restreint et toute la terre réservée à la culture ou aux bêtes est autour, chaque activité étant délimitée.
Au début, il utilisait des cailloux blancs pour séparer les zones. Ce qui ne manquait pas de faire rire ses amis de passage, et a inspiré le nom de l’éco-lieu : Le Kayou. «Ça a un côté précieux aussi, ça se dit d’un gros diamant.»
Voilà maintenant trois ans qu’il est installé, et a presque atteint l’autosuffisance. « Il y a encore des choses que j’achète, parfois par facilité, parfois par obligation. » Car si Joakim pense son lieu de vie selon les principes du survivalisme -pouvoir subsister « si le système actuel se casse la gueule » – il n’a rien d’un extrémiste et ne cherche pas à convaincre ceux qui viennent le voir qu’il faut à tout prix adopter ce mode vie. Kevin, son ami, n’est « pas convaincu que le système va s’effondrer, mais adhère au principe d’autonomie pour le côté écologique. Fréquenter Joakim m’a fait adopter des changements bénéfiques: faire attention à ce que je mange, aux produits d’hygiène que j’utilise. » S’il ne fait pas dans le prosélytisme, Joakim ouvre néanmoins ses terres au public, pour que « chacun puisse se faire une idée », comme ce jour-là avec le passage de l’AlterTour.
Se lever avec le soleil
Il y a eu bien sûr les gens du coin, pas habitués à voir un jeune s’installer pour faire de l’élevage et du maraîchage. Lucie, qui avait l’habitude de chasser dans le secteur avant que Joakim ne s’installe, était au début un peu sceptique. Deux ans plus tard, les deux sont amis, troquent régulièrement et partagent un congélateur. Alors bien sûr, d’autres ont eu quelques préjugés, des inquiétudes aussi, mais qui se sont vite tassées « quand ils ont compris que ce n’était pas un lieu de “teuf”, que j’étais là pour travailler. » Ce qui a forcé le respect de certains. Au point que, désormais, seize propriétaires lui prêtent des terrains alentours pour qu’il puisse étendre son activité.
Pour soigner ses terres et ses bêtes, Joakim se lève avec le soleil. Le matin, les tâches quotidiennes de l’élevage et du maraîchage l’occupent amplement. Puis chaque après-midi est consacrée à un atelier différent. Par exemple, le lundi, le nettoyage du poulailler et des clapiers. Le week-end, il tente de se consacrer à des activités pour « grandir de l’intérieur », comme la méditation ou le yoga. Quand la motivation manque, il s’occupe de gérer le troc : faire la liste sur Facebook et par texto de ce qu’il propose, et parfois de ce dont il a besoin.
« Tout se troque quand on a la personne
en face »
Le troc est pour lui une manière de moins consommer et d’être plus proche des gens du coin. Au fil des échanges, il s’est rendu compte que « tout se troque du moment qu’on a la personne en face ». Il y a bien sûr des échanges assez basiques : des légumes contre du café et des biscuits par exemple. Mais cela peut aller plus loin. Aujourd’hui, Joakim arrive même à troquer les services d’un avocat contre des fruits et légumes. Il s’est aperçu qu’il y avait souvent une valeur ajoutée dans le troc car l’échange ne se calcule pas en argent mais en ce que cela comble comme besoin. « Les choses que tu ne peux pas troquer sont celles pour lesquelles tu n’as pas d’interlocuteur direct: assurances, forfaits mobiles, etc.» Pour tout cela, Joakim a encore besoin d’argent. Les amis et visiteurs du Kayou peuvent donc déposer quelques pièces dans une boîte à dons en échange de produits du moment. Et, souvent, d’une bonne dose d’inspiration pour vivre plus en harmonie avec son environnement.
Jessica Lombardi, Chronos