La Zad de Roybon en Isère

MarineAuvergne-Rhône-Alpes, Édition 2017, Environnement

Nous arrivons à la Zone A Défendre (ZAD) de Roybon sur le coup de 11h30. Accueillis aux abords de la maison « La Marquise », ancienne maison forestière de l’ONF (Office National des Forêts) par 2 ZADistes qui vivent là toute l’année, les altercyclistes profitent d’un café offert, se perchent sur un gros tronc d’arbre, et écoutent le récit passionnant de cette lutte.

Dans les années 2000, un projet de développement d’un Center Parc (filiale du Groupe Pierre & Vacances) voit le jour, dans la forêt des Chambarans, située en Isère, tout proche de la Drôme, une zone classée Natura 2000. La perspective de la création d’emplois, chère aux élus locaux et à une partie de la population amorce un long processus de démarches administratives pour faire advenir le projet.

Pour Pierre & Vacances, le coup est facile à jouer : l’investissement est limité, car la forêt peut être acquise à bas prix (terrains non-constructibles) et les autorités publiques sont prêtes à co-financer l’investissement faramineux pour construire les cottages pour vacanciers. La gestion du parc est quant à elle minimale, car lorsque les cottages sont loués, elle est externalisée auprès d’une agence spécialisée ? Et quand ils sont vendus, elle est prise en charge par les propriétaires eux-mêmes.

Incontestablement, le projet a une forte empreinte environnementale : destruction d’espèces protégées, pollution du milieu (eau, sol) . Des collectifs, des associations (pêcheurs, locaux) s’opposent fermement au projet dès le départ.
Face aux recours et aux contestations émanant des collectifs citoyens la stratégie adoptée par les promoteurs du projet est celle du « saucissonnage »: diviser le sujet en différents enjeux cloisonnés (gestion de l’eau, de l’urbanisme, du défrichement, de l’assainissement) afin de limiter le ralliement des opposants.

Fin 2014, suite à l’obtention par les pro-Center Parc d’une autorisation sur l’eau et le défrichement, la tension monte d’un cran : une contestation juridique du projet, à travers l’association Pour les Chambarans Sans Center Parc (PCSCP) est engagée, et des ZADistes viennent occuper les lieux. Au plus haut, ils ont été jusque 1 000 sur place.
« On a compris au bout de 6 mois qu’on habitait dans une forêt ! Il nous a fallu apprendre la culture sylvicole, l’abattage, le débardage, et aller au-delà de notre imaginaire autour de la forêt »
« Au début, on était là pour la lutte. Et puis on a eu envie de vivre là, et d’en profiter. Pour nous c’est devenu plus qu’un espace ouvert, un refuge »

Les ZADistes, plutôt jeunes et parfois de la région, mais pas seulement, s’installent sur les lieux. Certains campent, d’autres sont logés dans l’ex-maison de l’ONF, d’autres construisent à base de torchis des barricades et des fortifications dans lesquelles ils pourront vivre. Ils apprennent à travailler le bois, s’équipent d’un camion pour pouvoir gérer la forêt, et installent quelques chèvres et poules pour assurer leur subsistance.
Ils rencontrent eux aussi l’opposition : des locaux qui contestent leur légitimité à défendre la zone, des jeunes du coin qui viennent faire du grabuge en cassant les constructions de sites précaires. Une grenade incendiaire a même été jetée sur un site inflammable, une nuit il y a près de 2 ans.

Et puis il leur faut apprendre à lutter ensemble, « vivre sans se mettre sur la gueule ». Peu à peu, leur contestation se structure. Il y a désormais des réunions mensuelles entre les ZADistes présents sur le site, une réflexion politique autour des résistances contemporaines, un blog, et la ZAD de Roybon est désormais en réseau avec d’autres luttes (des fermes en résistance, d’autres ZAD, l’accueil des migrants…)
Aujourd’hui, ils sont à minima entre 15 et 20 de manière permanente sur le site. Ils reçoivent ceux qui leur rendent visite dans une logique de soutien (Ecotopia, Altertour et les amis d’autres combats…) et poursuivent la lutte. « On lâchera rien, faut rester là ! »
Après ce récit partagé par les accueillants, les altercyclistes enfourchent leur vélo et sont guidés à travers la forêt dans différents points stratégiques de la ZAD. Ils marquent une étape à Palette Palace, sorte de point de ralliement/squat en forme de tipi, fait à base de palette, de torchis et de bâches en plastique, puis s’aventurent jusqu’à la barricade ACAB ‘All Cops Are Bastards’, où vivent plusieurs personnes, prêtes à réagir à toute intervention des forces de l’ordre.

Après avoir aidé les ZADistes à déplacer quelques troncs de bois, les altercyclistes repartent vers de nouvelles aventures, en croisant bien sûr quelques voitures policières en poste aux abords de la ZAD…
Du grain à moudre pour les altercyclistes, qui ressortent pour certains affectés par cette rencontre et l’intensité de la lutte. Il se dégage de cet échange un drôle de contraste entre la gentillesse et l’ouverture au dialogue des ZADistes qui les ont accueillis, la dureté de leur quotidien forestier et la violence économique dite « blanche » contre laquelle il se battent. « On lâchera rien, faut rester là ! »

Marine